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Gangs of New-York (Martin Scorsese -2002)

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Martin Scorsese, né dans le quartier immigré de Little Italy (New-York), avait le projet de faire un film sur les guérillas urbaines du milieu du XIXe siècle qui opposaient protestants et catholiques, et plus largement immigrants du XVIII e siècle (les american natives) et nouveaux arrivants (d'Europe, d'Afrique, d'Asie). Scorsese se serait inspiré du roman d’Herbert J.Asbury paru en 1927 décrivant des années de rixes aux Five Points (cinq quartiers alors insalubres de N.York) et  jusqu'aux embarcadères recueillant les immigrés débarqués d'Ellis Island, où ces derniers passaient quelques tests médicaux avant d'avoir le droit de goûter à leur rêve d'Amérique. Scorsese n'invente rien, comme toujours. Incapable d'écrire, il reste cependant un virtuose de la mise en scène. Et lorsqu'un de ses films maintient une telle qualité sur près de trois heures de film, ce dernier a toutes les chances de ne pas passer inaperçu. Sauf que Scorsese est obnubilé par la violence, inouïe voire théâtrale, et par la Bible.


                            Pitch

Au milieu du XIXe siècle à Lower East Side, le fils (Di Caprio) duprêtre catholique irlandais Vallon (Liam Neeson) voit son père périr des suites d'un affrontement entre le groupe des immigrés irlandais des Lapins Morts, que feu son père menait alors, et celui des américains de souche, protestants, sous la houlette de William Cutting dit Bill le Boucher (Day-Lewis). Placé en maison de redressement, à sa sortie ce jeune Amsterdam Vallon n'a qu'une idée : venger son père.


Daniel Day-Lewis. SNDQue de symbolique biblique ! Vengeance, tentation, péché, pardon, rédemption. Une bible jetée d'abord. Bientôt un apostat de Bill le Boucher qui louange le seigneur tout puissant pour lui apporter une seule chose : rester debout jusqu'au bout et quelque soit ses offenses. Bientôt aussi des louanges au seigneur, d'un jeune à l'esprit vengeur qui souhaite que la force lui soit donnée d'aller au bout de son combat. La religion est ainsi violente, aveugle et placée sous le signe du Dieu-vengeur. Entre fanatisme religieux et mésinterprétation. Faire appel au seigneur pour sa réussite personnelle, certes, mais aussi demander pardon : Day-Lewis voudra revenir à un moment sur ce prêtre qu'il a tué. Revenant sur la fois où ce prêtre l'avait sérieusement accroché, Bill le Boucher justifiait ainsi son courroux ultérieur à cette seule lumière : la vengeance. Mais c'est une possibilité de rachat, de pardon à laquelle il se soumet, et ce, sans savoir que son interlocuteur n'est autre que le fils de ce prêtre. Et à ce moment-là, Scorsese tente de donner du coffre au personnage, afin peut-être d'humaniser (enfin) la dernière partie de son film. La vengeance doit-elle surpasser le pardon ? Mais Scorsese, comme dans d'autres domaines, échoue à humaniser ce personnage. Ainsi que tous les autres d'ailleurs.

John C. Reilly, Liam Neeson, Brendan Gleeson et Gary Lewis. SNDOn saluera à juste titre, parce que Scorsese le mérite, son audace quant à décrire une époque difficile à imprimer dans la tête des Américains. Gangs of New-York est la seule oeuvre s'étant acharnée à parler de la naissance des maires, des conseils citoyens, des votes. Mais il en reste aux balbutiements : « la violence règle tout », comme disait Appien concernant la République romaine (IIe et Ier siècles avant J-C.), et on doit se contenter, spectateurs, de cette tempête arrachant tout pour que le sol renaisse. Gangs of New-York explique un certain sacrifice, duquel renaîtra (encore qu'il faudrait un deuxième opus) l'Amérique moderne. Celle qui en a fini avec sa longue guerre de Sécession, même dans les mémoires et les racismes, pour s'ouvrir.

Daniel Day-Lewis. Collection Christophe L.Scorsese parle d'un western de l'Est. Sous cet angle, Gangs of New-York devient effectivement mythique. C'est bien une oeuvre fleuve sur la côte Atlantique, au même titre que les plus grands westerns de l'âge d'or, le sont pour la côte Pacifique. Là-bas à l'Ouest, la Californie est l'eldorado, un paradis terrestre. A New-York, le Salut passera par la reconnaissance des premières communautés urbaines, dès lors qu'elles accepteront de vivre en Cités, avec ses droits et devoirs pour tous à part égale. Leur eldorado à eux c'est de s'assembler, de s'organiser à plusieurs. Parce que c'est le monde des villes : promiscuité, misère, surnombre. La réussite à l'américaine, est née d'une overdose de possibilités individuelles sur ce nouveau sol, le nouveau continent. Beaucoup d'espoirs et de réussites, chez ces individus, dès lors qu'ils s'organisent même embryonnairement (gang, milice) pour savoir prendre aux autres ou avant les autres. Scorsese ne démontre pas, par contre, des hommes construisant une nation. Il montre des égoïsmes de bout en bout, avec comme fil rouge : cet homme seul, animé par un seule chose, la vengeance.

Daniel Day-Lewis. SNDCostumes, décors urbains (studios de la Cinecitta), mise en scène, interprétations, réalisations et montage tant musicaux que vidéos, font de Gangs of New-York un film réussi. La plongée est saisissante : à l’époque New York est la première ville d’Amérique à accueillir les immigrants. Au milieu du XIXe siècle,  plus de 100 000 Irlandais débarquent chaque année. Leur seule reconnaissance locale, est d'être de vulgaires machines à voter. Et pire, en face d'eux se dressent les colons du siècle précédent : des anglais et hollandais qui ne souhaitent pas perdre leur statut. Gangs of New-York relate cela, en fait, avec dans le fond le téléscopage des convictions religieuses et mercantiles dans un vrai bain de sang, une vraie régénérescence qui passera par et seulement par la violence. Pour la question politique de l'absorption du flot d'immigrés, Scorsese aura donc décidé que cela n'était pas le sujet des débats.

Pour l'anecdote, ce Bill le Boucher et ce jeune Vallon se livrent la bataille finale dans l'épisode historique des Draft Riots, émeutes sanglantes qui feront 1200 morts et 8000 blessés. Emeutes provoquées par quoi, en juillet 1863 ? La corruption, la levée de troupes forcée, la misère, les manipulations politiques. Quel terreau politique ! C'est peut-être moins pour cela que pour sa violence de type guérilla, que sa sortie initiale, prévue à l'automne 2001, avait été retardée.



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