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Série Noire (Alain Corneau -1978-)

Publié le

Avant-goût   je n’ai encore jamais vu un film qui me plaise plus que les critiques dithyrambiques faites en amont sur lui. Le chef d’œuvre d’Alain Corneau, passant ici le cap du cinéaste. Et un Alain Corneau qui le rend bien à Patrick Dewaere, dont il avoue qu’il ne voyait personne d’autre pour un tel rôle. Il n’y a qu’à voir le genre de rôle et vous comprendrez non seulement qu’Alain Corneau a raison, aussi que Patrick Dewaere était non seulement un acteur d’exception, mais un très grand comédien (nuance). Ces deux hommes, inspirés de l’œuvre maîtresse d’un maître du serial, Jim Thompson (roman Des cliques et cloaques), permettent de hisser Série Noire au rang d’un des ultimes films les plus noirs, si ce n’est le plus noir du monde, toutes époques confondues. Car c’est beaucoup plus psychique qu’un serial US, c’est beaucoup plus humain qu’un serial irlandais, et c’est un renouement avec le cycle Jean-Pierre Melville, si ce n’en est pas même un dépassement du maître… Bravo à Alain Corneau qui confirme son talent montré dans Police Python 357, et bravo à Patrick Dewaere !

Pitch   Frank Poupart fait de la vente en porte-à-porte dans la morne banlieue parisienne. Son patron étant très prêt de ses sous, il en arrive parfois à arnaquer par ci par là…jusqu’à ses propres clients. Vendant des savons et des brosses à dent à domicile, méprisant sa femme faute d’accepter de se mépriser soi-même, voilà qu’il découvre la jeune Mona, 17 ans, alors qu’il venait démarcher sa tante. Mona lui saute dessus, nue, après l’invitation faite par sa tante de la rejoindre dans sa chambre. Subjugué par sa beauté, il glissera vers la part d’ombre de son être…alors qu’il ne croit agir qu’en son strict cheminement personnel.

Avis        on est d’entrée subjugué devant la sagesse d’acting de Patrick Dewaere, âgé de seulement de 30 ans. Son jeu de regard et son ton de parole font qu’il croit ce qu’il dit, et qu’il vit ce qu’il fait. Avec un scénario qui lui en fera voir des vertes et des pas mûres, Patrick Dewaere décuple encore sa présence à l’écran, bouffant littéralement la pellicule d’Alain Corneau. N’ayant pas vu tous les films de Dewaere, je ne sais si cela est impartial d’entendre Marie Trintignant dire que « Patrick réglait chaque scène en deux prises maximum », ou d’entendre Alain Corneau avouer que « quand Patrick est mort, je savais qu’il y a bien des films qu’on ne pourrait plus jamais faire ». Sous-entendu que le cinéma avait perdu gros dans le suicide de cet acteur qui vivait ses rôles comme sujet, passant le cap de l’objectivité de ressembler au rôle vers la subjectivité d’être le comédien sujet de son rôle.

Adaptation du romancier le plus noir de l’histoire…

Série Noire se base sur le roman Des cliques et des cloaques, de Jim Thompson, qui n’est autre que le romancier le plus noir que la terre n’ait jamais porté. Ce romancier a toujours cherché dans les bas-fonds de sa propre conscience les failles de l’existence, en les montant en un rouleau compresseur écrasant l’humain sous le poids de la fatalité. Ses héros étaient un peu des gens ordinaires, qui sombraient dans le malaise mental à mesure que le destin auquel il croyait leur glissait entre les doigts. Un monde sans autres coupables que soi-même, ses failles et ses faiblesses. C’est alors que doit entrer en action un certain Patrick Dewaere, alias Frank Poupart, miséreux vendeur en porte-à-porte. Son incapacité à aimer sa femme (Myriam Boyer) le fera se tourner vers une jeune femme (Marie Trintignant) tenue en laisse par sa tante. Son ras-le-bol d’un boulot exténuant et répétitif le fera se couper de son patron (Bernard Blier). Son avarice le fera préférer l’arnaque facile au cantonnement à un salaire de commissions. Alain Corneau décide alors de sortir les veines les plus noires du roman de Jim Thompson, pour mieux donner un point d’ancrage au spectateur. Point d’ancrage : Patrick Dewaere, humain parmi les humains, de par ses faiblesses, ses failles. Les veines les plus noires : on peuple autour de lui tout un cortège de personnages sombres. Avant qu’il commette ses maladresses d’homme méprisé (son couple), avare (amour de l’argent facile) et blasé (son j’en foutisme au boulot), on voit sous la caméra d’Alain Corneau tout un tas de personnages sombres surgir lentement. Son patron veut des rentrées d’argent et se soucie très, très peu de son personnel. Sa femme le quitte sans avertissement. Et la jeune femme vers laquelle il se tourne ne parle jamais. Il n’a plus rien pour se remettre dans le droit chemin. D’autant que cette jeune femme, par sa beauté maladive, lui fera commettre l’impensable.

Jim Thompson trouvant là sans doute le premier et unique acteur capable de jouer l’un de ses héros si complexes et torturés…

L’enchaînement du sombre, ton sur ton, finira par décolorer son âme, et le prendra en étau puis aux tripes. Patrick Dewaere prend alors la pleine mesure de son interprétation de départ, en appuyant davantage les traits quand il le faut. Un acting total, éblouissant de réalité. Sous des traits de jeune homme inoffensif, c’est le mal qu’il sème indirectement envers lui. Jim Thompson trouvant là sans doute le premier et unique acteur capable de jouer l’un de ses héros si complexes et torturés. Héros des temps modernes, pris entre l’argent, le désamour et la lassitude existentielle, que Patrick Dewaere vient appuyer de tout son être. Le regard humain, les pétages de plomb presque improvisés, une scène de pseudo-suicide non prévue au scénario (lorsque dans son bain il fait ce que Corneau n’avait pas prévu : se mettre sous l’eau pour y rester presque une minute), lorsqu’il se tape trois fois la tête violemment contre le capot de sa voiture en un plan non coupé (alors que Corneau l’avait invité à mettre son bras sur son front à chaque fois au dernier moment et qu’on ne verrait rien puisqu’il couperait au montage et re-balançerait sur un autre plan). Des actes de violence que n’aurait jamais pu faire un simple acteur naturellement nerveux, bagarreur ou autre. Oh non, cette violence physique infligée à lui-même devenait un vibrant témoignage de déchirure sous les traits de Patrick Dewaere. Chose que peu d’acteurs auraient réussi d’une part, et qu’encore moins d’acteurs seraient arrivés à ce point à défier son metteur en scène. Alors s’il s’avère qu’Alain Corneau a livré là sa meilleure mise en scène, il a aussi sans doute concouru à donner à Patrick Dewaere son plus grand rôle. Et quand on voit Corneau oser filmer un Dewaere jouant avec sincérité le menteur, scrutant jusque dans son mouvement de regard, son mouvement de cils, on se dit que Série Noire reste la plus belle rencontre du cinéma hexagonal. Une sorte d’alchimie qui s’est vue dès le tournage, sans attendre le montage et qui prit racine dès la présentation du script à Dewaere. « Il devait être 8 heures du mat’ quand Patrick a eu le scénar ‘ la première fois sous les yeux…et le jour même,  quelque chose comme 2 heures du mat’, Patrick me rappelle, s’excuse de m’appeler si tard, il accepte le rôle. J’étais aux anges. Je ne voyais personne d’autre que lui. Sans lui le film était mort », précise Alain Corneau.

« Absolument pas, je vais apprendre le texte à la lettre, et c’est là que tu verras un soupçon d’improvisation », Dewaere à Corneau…

Avec un Dewaere refusant à Corneau cette idée d’improviser. « Absolument pas, je vais apprendre le texte à la lettre, et c’est là que tu verras un soupçon d’improvisation », lui avait clairement prévenu Dewaere. Alors Corneau, un brin surpris, prit ses précautions. S’il fallait laisser improviser Dewaere sur un texte totalement maîtrisé, mieux valait lui laisser une liberté de mouvement. Corneau sort l’artillerie lourde, il place sur chaque scène deux caméras dissimulées pour qu’elles ne croisent pas leur propre angle, essayant ainsi de suivre presque à la trace le moindre mouvement imprévu de Dewaere. Orson Welles l’avait bien fait, pourquoi pas lui ? Dewaere se met alors à occuper tout l’espace, en parfait boulimique de son personnage, combinant la démarche obsessionnelle à un résidu d’humanité. L’obsession de l’acteur transcendant l’obsession du personnage. L’humanité de l’acteur débordant bien au-delà des détresses du personnage. Patrick Dewaere crève alors l’écran à plusieurs reprises. Devant ces facéties d’acting, Corneau se met à cravater des microphones sur chacun des personnages. Dewaere s’en va rassurer la petite Marie Trintignant avant certaines prises, rassurant ses 16 printemps en lui donnant des astuces pour coller au mieux à son propre rôle de fataliste paranoïde. « Patrick tournait tout en seulement deux prises. Heureusement pour moi car s’il pouvait redonner autant de jus à la 3ème voire 4ème prise, moi j’avais l’impression d’avoir tout donné dans les deux premières », commente Marie Trintignant. « Certes un peu nerveux, ce qu’on ne serait à moins avant le tournage d’une scène, Patrick était doux et comédien aussi en dehors des scènes », explique Alain Corneau. Bien au-delà, c’était un corps juvénile cachant une bête de scène. En hyperactif, Patrick Dewaere semblait donner tout de lui au spectateur, à chaque plan, à chaque scène. Mais en réalité il n’en était rien. « Il ne semblait jamais forcer » commente Marie Trintignant.

 Myriam Boyer et Dewaere

« Quand j’ai appris son suicide, j’ai su tout de suite qu’il y a bien de mes projets qui ne pourraient plus se réaliser »

« Quand j’ai appris son suicide, j’ai su tout de suite qu’il y a bien de mes projets qui ne pourraient plus se réaliser », admet Alain Corneau. N’empêche qu’Alain Corneau et Patrick Dewaere ont passé sur ce projet le cap du chef d’œuvre du film noir, parce que ce héros meurtri était un humain auquel s’identifier non sans mal, touchant le spectateur en son âme et conscience. Un film prenant, avec une bande-son interne (radio ou chantonnements de Dewaere) conférant une grande authenticité, un voyage dans les bas-fonds d’une conscience humaine que Patrick Dewaere partage avec le spectateur à chaque instant. Sauf le respect que l’on doit à Alain Corneau, artisan du très bon Police Python 357 ; Jean-Pierre Melville, Jacques Deray, Alfred Hitchcock ou les pseudo renommés frères Coen n’ont jamais eu sous la main pareil matériau humain que ce Patrick Dewaere (on parle ici de films noirs). Série Noire est le film le plus noir que j’ai jamais vu, et en même temps le plus humain. On regrettera que l’hypersensibilité de Dewaere, ait à la fois provoqué sa reconnaissance et sa mort précoce. Un comédien mourait parmi des acteurs…

Appendice : Patrick Dewaere a été entouré d’acteurs dans la même veine, c'est-à-dire capables d’être parlant sans prononcer un seul mot. Bernard Blier est à saluer dans son rôle d’entrepreneur véreux et corrosif au possible, qu’il magnifie avec sa bonhommie légendaire et son flegme énigmatique. Marie Trintignant est sublime rien qu’à la regarder scruter Dewaere, dans un rôle de jeune femme meurtrie, désabusée et prostituée par sa tante. Un regard exceptionnel, qui a su combler ses lacunes pour ce rôle : mutisme et inhibition adolescente, impression d’être dépassée par le talent de Dewaere. Dewaere l’a rassurait avant certaines prises difficiles, parce qu’il sentait justement que ce serait coton pour elle. Elle a beaucoup apprécié ce réconfort, alors qu’elle n’en était qu’à son premier grand rôle, ayant à peine 16 ans. Quant à George Perec, co-scénariste avec Alain Corneau, c’est un peu l’écrivain talentueux qui mit des mots subtils sur des maux, via une construction des dialogues alliant lyrisme poétique et froide réalité.

Jeu d’acteurs

Patrick Dewaere  :):):):) (:))

Bernard Blier  :):):):(

Marie Trintignant  :):):(:(

Myriam Boyer :):):(:(

 



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