CASINO (Martin Scorsese -1996-)
Pitch
Avis un film assez magistral sur la longueur, et cest dailleurs sur cet aspect que je vais mattarder. Casino ne faiblit jamais dintensité bien que durant près de trois heures. On retrouve la patte « scorsesienne » et le souci du détail tout comme le sens de la synthèse. Le scénariste Nicholas Pileggi a vraiment fait du très bon travail, sinspirant notamment de la vie et des déboires sentimentaux dun vrai dirigeant de casino de Las Vegas, Franck Rosenthal (années 70). Il y a un vrai fond de vérités sur le gangstérisme et le blanchiment dargent sale via les jeux dargent, dans un Las Vegas devenu le paradis du crime organisé Dans le fond de lintrigue, ça emprunte les voies dun cinéma « total », époustouflant alliage de fresque historique, de drame passionnel, de destinée personnelle. Le tout transcendé lentement mais sûrement en une véritable tragédie humaine post-moderne, avec largent mise naturellement au centre des débats. Scorsese rend une très belle copie, en signe dune longue expérience du film gangstériste. Avec une magnifique photographie, une bonne authenticité dans sa retranscription dune époque, dune ville, dune mentalité ambiante. Scorsese garantit de bout en bout et à chaque moment un travail très propre sur la mise en valeur des rôles, puis sur leur mise en abîme et leur descente en enfer. Offrant presque à Sharon Stone loscar de la meilleure actrice (nominée mais pas gagnante). Scorsese sublime les moments de drames passionnels par le très tragique « Thème de Camille », de Georges Delerue, faisant de vibrants parallèles avec Le Mépris de Jean-Luc Godard, ainsi peut être quun hommage au cinéaste français. Car il est peut être crédible de songer à une adaptation américaine du Mépris de Godard, pour ce qui est de la trame scénaristique mettant en exergue le mépris de Ginger (Sharon Stone) pour son mari (De Niro), passant de la beauté fatale à la beauté empoisonnée vis-à-vis dun homme qui craint pour son capital et surtout pour son fier honneur personnel. Un petit parallèle en tout cas, car si les raisons du mépris de Ginger pour son mari sont aussi obscures que celles de Camille pour son mari (Michel Piccoli), ce nest quun axe de lecture de Casino, et non limmobile centre névralgique du scénario. Martin Scorsese a seulement saupoudré son film dinstants de déliquescence du couple, histoire de brosser un portrait abouti dun gérant pris entre deux feux : lamour et lamitié. La première heure du film est très rythmée malgré ses intentions. Elle sert à présenter en long et en large lantre de lintrigue (le Tangiers Casino), les deux rôles qui formeront un couple admiré extérieurement mais rongé intérieurement par lego du mari (le mépris de la femme), ainsi que la présentation trop rapide à mon goût dans son enchaînement de chaque individu formant le microcosme qui compliquera la vie de ce couple. En passant des « boss » qui régissent en haute main le gérant De Niro, qui sont autant de mafieux et de reliques de lépoque du blanchiment dargent sale par linvestissement dans les jeux dargent, mais on a aussi la présentation grave et percutante de ce bon vieux Nicky Santoro (Joe Pesci), bagarreur invétéré qui entend se faire une place sous le soleil de Las Vegas par le poing et le sang. Sa montée en puissance annonçant la crise chez le gérant De Niro.
Intermède historique sur le film
Lintrigue de Casino se situe dans les années 1970. Cette même décennie est celle du passage de témoin entre des casinos tenus par la pègre et des groupes aux finances saines, des entreprises à grande transparence et des groupes jusqualors diversifiées dans linvestissement hôtelier. Le rôle de Robert De Niro est intéressant à plusieurs titres. Il permet un statut dacteur victime de ce mouvement historiquement vérifié. Casino est intéressant par son approche du monde du casino. Il y a tout un tas de vérités propres aux seventies et tout un portrait réussi sur lactivité des mafieux qui régissent au-dessus de lui lensemble du Tangiers Casino. Ils sont six patrons, qui ayant investis dans ce casino, ne cessent jamais de prendre dans la caisse de la trésorerie, afin de déduire secrètement des comptes de lourdes sommes dargent que les impôts nauront pas. Permettant lautofinancement, cette pratique dépend toujours dun seul et même homme, qui peut accéder quand il le veut à la salle des comptes pour remplir sa mallette de liasses de dollars. Celui-ci, payé par ces six patrons mafieux, prend au nez et à la barbe de De Niro la somme quil veut. Il est le seul, avec le personnel qui compte les recettes de la journée, à pouvoir rentrer dans cette salle de trésor, et bien que gérant, De Niro le sait mais ne peut rien dire, de peur de se faire virer voire tuer. Le traitement du personnage joué par De Niro est fiable, dépeignant un ancien bookmaker ayant été désigné comme gérant de casino. Les bookmakers sont une mouvance représentative de la classe gestionnaire des casinos de Las Vegas, dans les années 50, 60 et 70. Gestionnaire jentends, pas dirigeante (ce sont les caïds de la pègre).
« Tous les comités directeur des casinos étaient légalement déclarés en tant que syndicat de travailleurs »
Scorsese met donc très bien en situation le fameux Syndicat des Camionneurs. Cest effectivement un puissant syndicat qui avaient des portées financières sur plusieurs casinos de Las Vegas, depuis les années 50 aux années 70. Tous les comités directeur des casinos étaient légalement déclarés en tant que syndicat de travailleurs, façon d'avoir une vitrine propre et d'obtenir des financements. Le Syndicat des Camionneurs était lun des plus au fait, à Las Vegas, et les comités directeurs de casino qui se réclamaient de ce syndicat, avaient dabord trouvé des fonds auprès des cotisants routiers et chauffeurs syndiqués, pour ensuite réinvestir tout dans du patrimoine hôtelier et de jeux dargent. On pense que près de 200 000 routiers ont été prélevés sur leurs retraites en vue de tels investissements. Quelque soit le syndicat qui blanchissait son argent sale par les casinos, il envoyait des fonds à la maison mère de leurs groupuscule mafieux, dont les principales étaient établis à Cleveland, Chicago, New-York et Kansas City dans les années 50, 60 et 70. Ce film montre très bien la fine frontière quil y avait entre le statut de mafieux et celui dhomme daffaire. Blanchir de largent sale via les jeux dargent cest un peu être « un homme daffaire de lindustrie du jeu », expression qui était couramment employée par les médias pour désigner les investisseurs de casinos à Las Vegas, des années 50 aux années 70. Après les années 70, toute cette machine secrète, aux activités commerciales douteuses et peu transparentes, disparaîtront irrémédiablement. La fin des années 60 est à ce titre prodigieuse.
« 600 membres du « syndicat du crime » sont traînés en justice »
Devenu ministre de la Justice, Bobby Kennedy (qui fait luvre dernièrement dun film : Bobby) reprend de A à Z tout le rapport denquête quil avait conduit pendant une commission parlementaire. Ce rapport précise les liens entretenus entre la pègre du « far-west » et les jeux dargent, désignant Las Vegas comme le « paradis du crime et des escrocs ». Le FBI, le FISC et le ministère de la Justice de Bobby Kennedy lancent au milieu des années 60 des opérations policières (descentes de police dans les casinos), ils épluchent les comptes des casinos, ils mettent sur écoute. Résultat : alors quil est dit que 10 millions $ disparaîtraient chaque année des comptes des casinos, 600 membres du « syndicat du crime » sont traînés en justice. Mais il faut plus que la justice et la répression pour tuer le monopole des mafieux sur Las Vegas. Howard Hughes, lun des hommes les plus riches de la planète, décide en 1966 dacheter un, puis deux, puis trois casinos hôteliers : le Frontiers Sands, le Silver Slipper et le Landmarck Hotel. Il est considéré par les médias comme celui qui mit à lombre les mafieux. Car Las Vegas et ses casinos obtinrent une plus grande ouverture dans les médias : Wall Street investit à Las Vegas, les capitaux sains et sécurisés sont investis dans le business des jeux dargent. Des entreprises bien sous tous rapports comme Hilton rachètent des casinos ou des hôtels à Las Vegas. Les mafieux n'ont plus assez de fonds pour concurrencer les appels doffre de ces grands groupes diversifiés, et finissent par mettre la clé sous la porte. Les derniers mafiosis de Las Vegas sont chassés au milieu des années 80.
Keruit