De la violence dans la trilogie Jason Bourne : essai
Au premier chef, il y a cette intransigeante volonté dopposer lagent Bourne à dautres tous aussi connaisseurs du nettoyage que lui. Cela arrive par petites salves tout au long de la trilogie, tel un fil rouge. Bourne vogue bon gré mal gré de règlement de compte à mains nues en règlements de compte, avec des doubles de lui. Clive Owen incarne le tireur délite dans le 1, larme la plus sûre, car ne mettant jamais le prédateur sous lemprise de sa victime. Karl Urban, un ancien du Seigneur des Anneaux, joue le baroudeur de grand chemin, qui parcourt le monde avec son porte fusil à lunette dans le dos, en tissu beige. Un autre, dans la Mémoire, défonce une baie vitrée en plein Paris, croyant prendre Bourne par surprise, puis se recroqueville sur une petite lame triangulaire vissée sur son poignet. Lopus 3 livrant lui aussi dautres sacrés lascars prêts à en découdre avec Bourne.
Matt Damon a du soulever de la fonte pour être crédible dans son rôle. Heureusement finalement, car sa petite taille laurait rendu peu crédible en vue dincarner cet agent. Il faut en effet avouer combien son personnage semble irrésistible. Si les ennemis disparaissent de lécran en moins de 5 secondes ambassade de Zurich par exemple-, les combats contre dautres tueurs à gage apparaissent enfin comme une cerise sur le gâteau. Mettant sans doute la plupart des spectateurs dans lattente du prochain tueur
à dézinguer. Ces combats là, bien chorégraphiés, sont un peu lessence de la toute la trilogie, son carburant. Ils tiennent au minimum les 2 minutes. Ce qui est énorme comparé aux autres règlements de compte contre les services dordre, de sécurité ou de police, les pisteurs de la CIA aussi-. Ce combat cerise sur le gâteau qui fait frissonner à lidée que Bourne y laisse des plumes. Ce combat qui accompagne dune vive attente les spectateurs ne pouvant se contenter des phases de pistages Bourne poursuivi, ou poursuivant dautres de la CIA-.
Entre violence suave et sueurs froides
Si lentière filmographie des films daction US, vieillie pour de bon par les productions plus complètes comme Lethal Weapons ou Die Hard, souffrait dun manque criant de fond, il leur reste peut être encore ce fort goût de faire long sur les séquences de combat. Trop souvent, traîner en longueur rend naïves bien de ces séquences la plupart des films daction ne sortent plus quen dvd directement, désormais, voire directement sur des chaînes en pay-per-view-, mais de très rares films spécialisés action garde en eux de très, très bonnes séquences de castagne, qui éventuellement auraient pu donner envie à Greengrass de faire parfois plus long ! Mais fort souvent, ces films daction insistent trop, manquent de chorégraphie, ou pire encore, sont trop chorégraphiés ! La trilogie Dans la peau cherche avant tout un certain réalisme. Ce dont on ne peut lui tenir grief : hormis la caméra tournoyante de Greengrass, dans le volet 3, les accrochages de Bourne restent honnêtes ! Le problème de ces combats nest pas dans leur visuel
mais dans le fond quelles apportent à lintrigue, et à la profondeur quelle confère ou non- au personnage de Jason Bourne. Explications
Si la trilogie évite lécueil de cette naïveté décérébrée films daction US-, il reste quand même le problème de certaines bastonnades qui sont trop courtes. Ce nest pas que pour un problème de manque dhémoglobine, de sueurs froides ou autres, cest aussi et surtout pour la crédibilité même du personnage de Bourne. Quil soit invincible, est finalement plus inhérent aux films daction US, quà un vrai thriller à fond dintrigue. Le problème dun Bourne dézinguant nimporte qui dune simple clé de bras, peut faire souffrir le côté humain de son personnage. Etre irrésistible, paraître invincible, cest important pour un agent, et si dans le 1 cela a son entière place le spectateur découvre avant lui-même quil est un tueur en puissance-, dans le 2 certains séquences font pâlir le tableau densemble. Que ce soit à Berlin, Goa, Moscou ou Naples, Bourne parcourt le monde sans vrai problème, sans laisser des plumes.
Si la garde à vue de Naples est grossière, de par cette rapidité à voler les puces des téléphones portables, juste après avoir assommé deux gars en deux coups de poings, il faut avouer tout de même que les poursuites en voiture dans Moscou, et cette balle qui perfore lépaule de Bourne, font plaisir. Voilà que linvincible saigne, que lirrésistible est sur le point de chanceler. Le côté humain du personnage revenant enfin, avec notamment cette compassion quil développe dès lors quil doit annoncer la mort dun couple de ses propres mains, à une jeune femme désormais orpheline. La Mort dans la peau revêtant alors son statut de transition quasi-parfaite, dans la forme comme dans le fond
Jason Bourne met alors définitivement hors jeu James Bond, et inspire sans doute grandement la productrice Broccoli à humaniser enfin le rôle titre de Casino Royale : Daniel Craig. Bond pisse le sang, enfin, il manque de crever pour de bon, dun arrêt cardiaque, enfin, enfin bon
cet effort ne colle peut être que le temps dun film, qui sait ce que deviendra Bond une fois quil ne sera plus le débutant ?
Cette répétitivité dans la forme et dans le fond, ne pouvait plus donner de quatrième épisode honnête. Léchiquier Jason Bourne est dores et déjà échec et mat
Le personnage même de Jason Bourne reste problématique. A lui tout seul, et sans lentraide des autres personnages, il est un total modèle de héros de film daction. Sans les rencontres fatales quil subit, il navance pas autres agents, tueurs à gage, membres hauts placé de la CIA-. Sans cette intrigue centrée sur la CIA, sans tous ces pisteurs de la CIA, ces tueurs à gage crachant une dernière info avant de mourir, que deviendrait Jason Bourne ? Que serait aussi, tout ce vrai fond dintrigue de suspense, de thriller de haute sphère ? La manière den découdre de Bourne est un paradoxe à elle toute seule. Il dézingue très vite tout le monde, rassurant toujours le spectateur, autant quil décrédibilise lhistoire. Des séquences répétitives en somme, à léchelle des trois opus : comme ces poursuites en voiture qui voient le tueur à gage ennemi ensanglanté et assommé au volant de son bolide, ces autres tueurs à gage qui finissent étranglés dans leur sang, ou encore ce tireur délite du 3 dans la gare-, qui manque de finir comme le Clive Owen de lopus 1, etc Un archétype dennemi qui se répète : le tueur à gage comme ultime rempart dressé contre Bourne, au premier desquels le tueur marocain de Tanger ! Mais encore et toujours, ce cadre dintrigue fantasmagorique offert par la CIA, permet toujours de tisser des liens solides, et dinhiber le spectateur toujours plus à mesure quelle met en danger Bourne.
La trilogie répond ainsi à des fantasmes de môme ! Le combat agent contre agent, la CIA non plus comme ami mais comme ennemi, la violence malgré Jason Bourne, comme théâtre dune quête identitaire. Plusieurs fils rouges finalement, qui passent comme de la répétition dans la forme ou dans le fond de la trilogie, mais qui restent les meilleures armes dun ensemble daction/suspense rarement égalé au plan crédibilité. Entre mythe et réalité, entre violence suave et sueurs froides, la trilogie Bourne devient larchétype du thriller de demain : non plus seulement de par le caractère haut placé de son personnage, mais de par la très fine frontière quil y a sans cesse entre la victime et le prédateur, le coupable et linnocent
linversion inopinée des rôles et statuts devenant la matrice dune tension lente mais constante ! Cette répétitivité dans la forme et dans le fond, ne pouvait plus donner, par contre, un quatrième épisode honnête. Léchiquier est en effet dores et déjà échec et mat.