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L'Armée des Ombres (Jean-Pierre Melville (1969)

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L'armée des ombres (4)
envoyé par RioBravo. - Les dernières bandes annonces en ligne.

<< Je l'ai porté en moi 25 ans et 14 mois exactement. Il fallait que je le fasse et que je le fasse maintenant, complètement dépassionné, sans le moindre relent de cocorico. C'est un morceau de ma mémoire, de ma chair. Dans ce film, j'ai montré pour la première fois des choses que j'ai vues, que j'ai vécues. Toutefois, ma vérité est, bien entendu, subjective et ne correspond certainement pas à la vérité réelle. D'un récit sublime, merveilleux documentaire sur la Résistance, j'ai fait une rêverie rétrospective; un pèlerinage nostalgique à une époque qui a marqué profondément ma génération. >> Jean-Pierre Melville


Pitch                                                  

France, 1942. Gerbier (Lino Ventura), ingénieur des Ponts et Chaussées, est également l'un des chefs de la Résistance. Dénoncé et capturé, il est incarcéré dans un camp de prisonniers. Alors qu'il prépare son évasion et sa vengeance contre celui qui l'a dénoncé, il est récupéré par la Gestapo...


Lino Ventura. StudioCanalL'Armée des Ombres c'est l'hommage de Jean-Pierre Melville aux Résistants. Quand vous savez cela, vous comprenez aussi la puissance du film, tant humaine que bestiale. Son savoir-faire se place au service d'une poigne dramatique, qui brosse dans le dédale du fatalisme nazi, le portrait de quelques uns, mal armés, mal équipés, qui sont prêts à tous les sacrifices pour continuer leur combat pour la liberté. Si Lino Ventura est d'entrée de jeu sublimé, pratiquement mis sur un piédestal. Il en redescendra bien vite. C'est d'ailleurs ce contraste entre ce qu'il est, et ce que les Allemands veulent faire de lui, qui est saisissant. Homme de l'ombre qui ne se suffit pas de lui-même, au sein d'un réseau de résistants, le voilà qui entonne à ses camarades combien il est prêt à se lancer en première ligne.

Simone Signoret. StudioCanalMais un chef de la Résistance, ne l'est plus le lendemain où il s'érige comme tel. Fiché, répertorié et recherché par les Nazis, ce n'est pas son courage que peuvent saluer ses camarades résistants, mais le danger qu'il fait courir à tous en se montrant, en prenant les devants. Triste portrait à poigne, que brosse Melville, de résistants qui contre l'occupant, sont bien faibles partout sauf dans leur coeur. Capables d'avancer souvent isolés les uns des autres. Mener un même combat oblige aux sacrifices. Pour le combat même, pour qu'il dure, il faut parfois être prêt à liquider des associés que l'on doit renier ou tuer pour ne jamais être pris à son tour. Formidable moment de cinéma que cette Simone Signoret, qui d'un bout à l'autre du film, passera de la stature d'un grand cerveau, capable et besogneux, une vraie bonne femme, à la faiblesse de ses sentiments qui la trahiront elle et tout son réseau.

La profondeur de champs exercé derrière la caméra par Melville est là pour mieux suggérer la petitesse d'un combat face à l'ogre, en même temps que son intensité. Tous groupés, quand il le faut. Des opérations commandos au repli telle une bête traquée, dans sa cachette pour longtemps, sans laisser une once de signes de vie aux Allemands, et vous avez là le plus beau portrait cinématographique jamais tenté sur la Résistance. Et quand on apprend avec eux, à se méfier, à ne plus respirer trop fort, à se délester avec eux de ce qui nous appartient et nous a fait, en tant que spectateur, alors le spectacle déchire toutes les conventions. Il prend aux tripes !

Ils n'étaient pas considérés comme des éléments de guerre majeurs par les Britanniques, ils luttaient quand même. Ils ont défié la raison même de leur existence pour une cause plus haute, au prix de bien des sacrifices. L'Armée des Ombres conte tout cela à la fois, avec la froideur qui devait enserrer ces années de luttes, avec cette retranscription vertigineuse de la vie clandestine sous la guerre. Des hommes quoi, on le savait ! Sauf que Melville leur rend hommage ! En montrant comment leur nature humaine est forcée, violentée, happée voire hachée menue. L'humain est là non plus conventionnellement, mais dans son paroxysme. Entre pulsions de survie et refoulement de ses sentiments. Ce ne sont pas des bêtes, simplement des hommes qu'on a poussé au bout et qui ne peuvent plus revenir en arrière. Leur mise en avant par Melville force la normalité elle aussi. C'est la rencontre entre un sujet ambitieux du cinéma et d'un réalisateur tellement doué et hanté par la chose, qu'il en arrive à en respecter les moindres méandres. Touchant, émouvant, brillant !



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