Biutiful (Alejandro Gonzalez Inarritu -oct10)
Dans 21 grammes, Inarritu savait capter lindicible. Ici, à grand renfort de technicité il rend gras les traits avec lesquels il portraitise un Barcelonais en échec. Quand quelques moments savent pourtant démontrer le dramatique de façon tout-à-fait simples
Pitch
Cest lhistoire dun homme en chute libre. Sensible aux esprits, Uxbal, père de deux enfants, sent que la mort rôde. Confronté à un quotidien corrompu et à un destin contraire, il se bat pour pardonner, pour aimer, pour toujours
Inarritu a dédié son film à son père. Déjà, lindice ne pouvait bluffer les yeux dun borgne. Le sujet a étouffé la panoplie dInarritu. Difficile en effet, on limagine, de garder une sérénité quand cest une partie de soi que lon offre en pâture au monde. Pourtant, rien dautres que cette dédicace, nindique un film intimiste. Cela apparaît après le clap de fin. Tout est justifié malgré tout : les ratés, les exagérations émotionnelles sont justifiées par cette impossibilité de parler de soi avec lucidité et qualité. Mais jen conviens, sur ce point Inarritu est discret. Il dit avoir bâti le personnage dUxbal pour et seulement pour Javier Bardem. Lequel a reçu le prix du meilleur interprète masculin au dernier Festival de Cannes.
Biutiful trouve son titre dans une faute dorthographe, censée démontrer des difficultés sociales qui ne datent pas dhier pour ce père de famille (Uxbal). Biutiful sarme dune panoplie de musiques idéales pour appuyer là où tout demeurerait banal. Biutiful sarcboute sur une performance dacteur qui parfois laisse pantois. Pleurer sans larmes ? Des angles censés masquer un défaut dinterprétation ? Pourtant Bardem brille. Mais cest sans compter sur un Inarritu qui ne le ménage pas, qui sattache, sagrippe. Le réalisateur semble terriblement concerné. Son rôle-titre doit donc lêtre. Mais selon quelle liberté ?
Lacteur principal est une possibilité rare, pour Bardem, de démontrer certaines qualités dinterprète. Car Inarritu se sert en effet du personnage principal, qui saccapare notamment toute la profondeur scénaristique à lui seul, pour en faire un lien, un acteur-témoin. Acteur dune économie de lombre pour laquelle le bifton prend toute son importance, et avec lequel il tient entre ses deux mains flic, entrepreneur chinois, ainsi que la mère de ses enfants puis une sans-papier pleine de bonne volonté. Témoin aussi, dun tissu socio-économique se terrant dans les méandres du grand Barcelone, et quil fait comme jaillir du mystère des bas-fonds de la capitale catalane pour nous lafficher à pleine vue : un circuit est en effet monnayé par lui depuis des ouvriers de chantier clandestins à une main duvre écoulant des produits contrefaits dans les rues en passant par le patron dune usine miséreuse qui fait concevoir par des mains chinoises sacs et autres. Son personnage prend donc un poids immense à mesure que toute sa misère sexplique à la vue du spectateur.
Et puis Inarritu surdose, exténue son monde. La bande-son doit absolument donner son effet. Le même homme doit survivre tout en assurant la survie dautres. Les gimicks également. Le père serre sa fillette contre lui et tout de suite sentendent, bizarrement, les battements de son cur. Des chaussures, la nuit, dans la pénombre de sa chambrette percent le plafond et semblent flotter. Déjà son père lui parlait en ouverture de film ; bientôt les morts se verront dès lors que le soleil aura fléchi. Stupéfiant que cet amas sans nom, croisant dans les eaux saumâtres du fantastique et celles, déchaînées du social. Le portrait demeure brillant, à ceci près quon se demande si Inarritu est arrivé au bout dun cycle. Tous les personnages de Babel se réunissent en un seul, encore la proie au phénomène de la paternité, mais cette fois-ci si fusionnelle ; et selon deux générations : grand-père, père. Le premier est un fantôme puis une tombe puis une bague. Le second est un battant, un cancéreux puis légal de son propre père. Et la descendance dans tout cela ? Elle qui aurait permis un point dachoppement Elle reste dans un balbutiement de script, aussi victime de long en long quoubliée à jamais en fin de compte. Quel drôle de genre cinématographique ! Précisément aucun, en même temps beaucoup, provoquant un sentiment dinachèvement, voire de limites de réalisateur.